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Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada
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LES LETTRES*

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1.   La ville qui devait devenir l'ancienne capitale du Canada fut fondée en 1608. Cinquante ans plus tôt, Jacques Cartier avait publié en France un récit de ses explorations sur le Saint-Laurent en 1534. Ce fut là la première œuvre ou, si l'on préfère, le premier document littéraire d'inspiration canadienne. Il serait évidemment exagéré de prétendre que le grand marin de Saint-Malo fut le premier écrivain canadien. Mais on peut certes soutenir qu'une littérature inspirée par le Canada est aussi vieille que le pays, et cela contrairement à ce qui s'est passé pour les anciennes civilisations où l'homme a été chasseur, laboureur, citoyen, graveur sur pierre et sur écorce avant d'être écrivain.

2.   Ce mariage, au berceau, de la littérature et du Canada n'a pas donné des fruits très rapides. En fait, en nous appuyant sur les témoignages qui ont été rendus devant nous par des associations d'écrivains, des directeurs de revues, des sociétés d'amateurs de littérature, ainsi que sur les conclusions auxquelles sont arrivés les auteurs des deux études spéciales sur les lettres canadiennes, préparées pour la Commission, il nous faut bien conclure que, parmi les grands moyens d'expression artistique de la nation canadienne, la littérature vient en second lieu et même assez loin après la peinture. On s'accorde généralement à dire que nous n'avons pas encore, en littérature, d'aussi grands noms que ceux de Morrice, Jackson, Harris, Thomson, Gagnon et Pellan en peinture, c'est-à-dire des noms qui soient aussi prestigieux à l'étranger que dans le pays même.

Y A-T-IL UNE LITTÉRATURE CANADIENNE?

3.   Serions-nous donc un peuple sans littérature? Sur ce point précis on nous a fourni une réponse identique en prenant des voies d'approche différentes. Interprétant ce terme de “littérature nationale” comme une sorte de traduction, dans des œuvres d'imagination, des préoccupations, de l'idéal et du caractère de la population d'un pays, l'auteur de l'étude spéciale sur les lettres anglaises affirme que le Canada ne peut pas encore présenter un nombre suffisant d'oeuvres répondant à cette définition:

« À la vérité, il est déprimant de constater qu'il n'existe pas encore au Canada un ensemble d'oeuvres dont on pourrait dire qu'il reflète de façon appropriée et plus large que ne le font certains de nos livres à courte vue, le caractère du peuple canadien et ces facteurs historiques qui ont fait de lui ce qu'il est » (1).

4.   De son côté, l'auteur de l'étude sur les lettres françaises au Canada, tout en admettant qu'une littérature nationale doit exprimer certains traits

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fondamentaux de la population et les caractères plus ou moins originaux du paysage dans lequel cette population vit et évolue, soutient qu'au delà de ces détails particuliers et locaux, une littérature, pour être dite nationale, doit être reconnue comme un témoignage de la nation auprès des autres nations, et qu'elle doit, en conséquence, avoir “la résonance humaine” et la “valeur esthétique” qui puissent éveiller l'intérêt et la sympathie et susciter l'admiration des autres peuples.

« Si paradoxal que cela puisse paraître, je dirai qu'une littérature ne peut être considérée comme l'expression originale d'une nation qu'à partir du moment où cette littérature compte en tant que témoignage auprès des autres nations. Ce serait donc lorsqu'elle a prise sur l'universel, lorsqu'elle a assez de résonance humaine et de valeur esthétique pour éveiller l'intérêt et susciter l'admiration des autres peuples, et qu'elle sait en même temps exprimer le tempérament particulier du peuple dont elle est l'émanation, et seulement à partir du moment où elle remplit toutes ces conditions, qu'une littérature peut être dite nationale » (2).

5.   Que ce soit en jugeant les œuvres d'après leur valeur documentaire, comme c'est le cas de l'étude sur les lettres anglaises, ou en les estimant selon leur valeur de témoignage humain et également d'après leur qualité artistique, comme c'est le cas de l'étude sur les lettres françaises, à l'un comme à l'autre point de vue on a conclu qu'on ne pouvait pas encore parler de l'existence d'une véritable littérature nationale au Canada, dans l'une ou l'autre langue.

6.   Les auteurs des deux essais sur nos lettres ont aussi reconnu tous deux que le fait du bilinguisme canadien, sans être un empêchement définitif à l'avènement d'une littérature nationale, peut être considéré au moins comme une cause de retard dans son élaboration, en tous cas comme l'une des nombreuses difficultés auxquelles notre littérature doit faire face. Il ne faudrait pas se méprendre sur cette interprétation des rapports du bilinguisme et de la littérature. Dans l'esprit de tous ceux qui ont exprimé leurs vues sur les lettres canadiennes, le bilinguisme est reconnu comme une donnée permanente de notre civilisation canadienne au même titre que l'étendue géographique du pays, la formule confédérative, etc. Et parmi tous les artistes, savants et spécialistes qui ont comparu devant nous, les peintres et les écrivains canadiens sont ceux qui se sont montrés les plus conscients de la coexistence nécessaire des éléments anglais et français au Canada, et en même temps les plus soucieux de tirer de cette richesse toute la fécondité intellectuelle et artistique qu'elle renferme.

7.   C'est ainsi que la Canadian Authors Association recommande que

« toute mesure d'encouragement accordée aux écrivains canadiens soit divisée d'une façon proportionnelle entre les écrivains des deux langues et que tout organisme qui pourrait être institué par le gouvernement à cette fin se fasse un devoir de traiter avec les deux groupes »(3)

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La réplique canadienne-française de la Canadian Authors Association, la Société des écrivains canadiens, a écrit de son côté, dans son mémoire :

« Peut-on nier qu'il appartient essentiellement aux écrivains canadiens, de l'une et de l'autre langue, de consacrer leurs talents et leurs efforts au rayonnement de la culture intellectuelle, compte tenu des différences ethniques et des faits historiques ? Peut-on nier la position particulièrement avantageuse du Canada dont c'est le privilège de pouvoir bénéficier de ce qu'il y a de meilleur dans les cultures anglaise et française » (4).

« Position avantageuse » dit-on, et c'est exact si l'on veut bien se rappeler que nos écrivains sont les héritiers des deux grandes traditions littéraires du monde occidental. Mais, en même temps, position qui complique le problème de l'avènement d'une littérature nationale en partageant les efforts entre deux grandes voies parallèles.

8.   D'ailleurs, la critique en est encore à se poser plusieurs questions sur la forme que prendrait cette littérature nationale au Canada. Aurons-nous un jour une littérature nationale “comprenant en bloc et indifféremment les secteurs anglais et français de nos lettres ?” Il semble que cela soit impossible, répond l'auteur de l'étude spéciale sur les lettres canadiennes-françaises,

« puisque la structure même du Canada moderne, qui repose sur la fidélité du groupe français et du groupe anglais à des origines ainsi qu'à des traditions linguistiques diflérentes, rend impossible au Canada l'existence d'une littérature nationale qui ne soit pas nettement différenciée  »(5).

9.   Il n'y a pas que la critique pour penser que nos lettres n'ont pas encore atteint la stature d'une littérature nationale. Certains des mémoires qui nous ont été soumis par les écrivains eux-mêmes exprimaient un point de vue identique.

« Le caractère un peu vague du patriotisme canadien vient de l'absence d'une littérature indigène qui pourrait se comparer en importance à la taille physique du Canada et à son expansion industrielle, scientifique et universitaire, ainsi qu'au caractère bien défini de sa population  » (6).

lisons-nous dans le mémoire de la Canadian Authors Association. Quant au mémoire de la Société des écrivains, il constate que

« le phénomène qui a marqué la progression de notre pays dans l'ordre économique et politique se retrouve dans l'ordre intellectuel avec cette différence que l'élévation graduelle est beaucoup plus lente dans ce dernier que dans les deux autres. La maturité économique est venue en même temps que la maturité politique, quand elle ne l'a pas précédée de peu. Mais la maturité intellectuelle, encore une fois, est une chose à venir » (7).

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Le Canadian Writers' Committee expose une vue encore plus pessimiste des choses lorsqu'il écrit :

« En tant que pays agricole et industriel, le Canada occupe un rang prééminent dans le monde. Son importance est beaucoup moins considérable parmi les nations qui contribuent à la découverte de régions nouvelles dans l'esprit et dans l'âme de l'homme. Nous essayons de nous en justifier en invoquant le chiffre de notre population, notre jeunesse relative et cette lutte qu'il a fallu mener pour maîtriser les grandes forces naturelles. Ces deux dernières excuses ne peuvent plus être acceptées. Quant à la première, ce n'était même pas une excuse » (8).

10.   Si l'on en croit, d'autre part, les jeunes écrivains du groupe de la First Statement Press, le progrès de nos lettres vers la formation d'un début de littérature nationale se fait jour depuis quelques années. Dans l'opinion de ce groupe, la situation s'est améliorée depuis ces années 30 où la publication d'un livre était un phénomène exceptionnel. Les revues et magazines de cette période n'était-ils pas fermés aux écrivains canadiens qui, de ce fait, n'avaient pratiquement pas de moyens de communiquer leurs idées au public ? Et la critique ne se préoccupait alors que de nos écrivains d'autrefois. Les temps ont bien changés. La poésie canadienne, en abandonnant quelque peu les thèmes de la nature pour devenir une poésie d'expérience humaine, a imposé sa présence à un plus grand nombre de Canadiens. Quant à nos prosateurs canadiens de langue anglaise, ils auraient réussi à établir enfin le contact entre la littérature canadienne et la société canadienne.

11.   En résumé, nous n'avons trouvé aucune association, aucun critique pour prétendre que le Canada ait réussi jusqu'ici à créer une littérature nationale. Mais en revanche on est généralement d'accord sur le progrès récemment accompli dans cette direction. Et, ce qui est le plus frappant, c'est que cette constatation optimiste nous a été présentée par les plus jeunes de nos écrivains.

L'AVENIR DE NOS LETTRES

12.   Dans le mémoire d'une association d'écrivains, en a regretté avec d'autant plus de mélancolie le retard des lettres canadiennes à s'intégrer dans une véritable littérature nationale, que l'on posait en principe que la littérature pourrait être la grande force de cohésion du peuple canadien. Mais ne faudrait-il pas d'abord que notre littérature trouvât son centre de gravité ? Actuellement, au témoignage de la plupart des spécialistes que nous avons entendus, elle est écartelée entre plusieurs forces. Les forces d'une tradition anglaise et d'une tradition française encore très vigoureuses la retiennent de ce côté. D'autre part, l'exemple de la littérature américaine qui, en moins de trente ans, s'est assuré une place éminente dans la littérature universelle, n'est pas sans faire réfléchir nos écrivains. Plusieurs d'entre eux se demandent s'il n'y a pas là des leçons

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très utiles à suivre. « Crise d'orientation  », a dit l'auteur de l'étude sur les lettres canadiennes-françaises, et que, pour sa part, il voudrait voir se résoudre par des essais de rapprochement littéraire encore plus poussés avec la France et l'Angleterre. Crise de conscience nationale, disent certains autres, qui traitent la défense des valeurs de fond et de forme représentés par l'influence littéraire de l'Europe comme une survivance, dans les lettres, de l'esprit colonial.

13.   Nous n'avons pas à prendre parti, à ce niveau théorique de la discussion, mais nous sommes profondément d'accord avec toutes ces associations d'ordre littéraire qui, quelle que soit leur position sur l'orientation même de notre littérature, veulent défendre l'esprit canadien contre le flot des publications américaines les moins recommandables qui menacent les plus nécessaires de nos valeurs nationales, corrompent notre goût littéraire et nuisent même aux intérêts matériels de nos écrivains. Comme l'a dit le Canadian Writer's Committee dans son mémoire :

  • « Un grand nombre de publications étrangères à notre esprit sont déversées dans nos foyers. Nous aimerions voir s'affirmer l'indépendance intellectuelle de notre pays. Nous aimerions que des écrivains de chez nous disent qui nous sommes, ce que nous pensons, ressentons, et quelles sont nos opinions. Agissons nous-mêmes au lieu de condamner les productions étrangères » (9).

14.   Il est entendu qu'une amélioration dans ce sens ne suffirait pas à créer une littérature nationale, mais au moins elle engendrerait un climat spirituel dans lequel l'écrivain canadien se sentirait plus à l'aise, mieux compris et où il trouverait l'occasion de contacts spirituels plus fréquents avec une société qui serait plus canadienne. Car s'il y a incertitude chez les écrivains sur la voie à suivre, c'est parce qu'il y a d'abord incertitude et confusion dans la société sur les valeurs anciennes à conserver ou à rejeter, et sur les valeurs nouvelles à adopter.

LE TALENT AU CANADA

15.   Que l'écrivain canadien, anglais ou français, n'ait pas encore atteint à ce niveau d'humanisme qui permettrait à son œuvre d'éveiller des échos aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur du pays; qu'il ait encore des progrès à faire pour trouver un « rythme » canadien, « a Canadian cadence  », pour reprendre l'expression d'un critique de langue anglaise, qu'il produise des « romans de structure trop simpliste, sans force dramatique et poétique, trop descriptifs et pas assez psychologiques » « que le tempo de nos livres ne soit pas assez rapide et chaleureux » « que la vraie poésie soit rare chez nous, le théâtre à peu près inexistant », toutes ces faiblesses n'empêchent pas que nous ayons un certain nombre d'écrivains très bien doués

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qui, si leur effort était soutenu par un intérêt et une sympathie plus marqués dans le milieu même, réussiraient enfin à donner à notre littérature l'essor qui lui manque.

16.   On nous a signalé une bonne douzaine d'écrivains de langue anglaise, et au moins autant d'écrivains de langue française, dont on peut dire qu'ils sont des gens de talent remarquable. Cependant, comment expliquer autrement que par des circonstances qui tiennent au milieu, qu'aucun d'entre eux n'ait produit une oeuvre qui serait un livre dont la disparition serait un événement tragique pour le monde, «  un livre dont, selon l'expression de Milton, le monde ne consentirait pas à se priver » (10). Tout se passe comme si le Canada était un milieu de culture hostile, tout au moins indifférent à l'écrivain. Ce serait donc en améliorant les conditions de travail et de production qui sont faites à l'auteur, qu'on pourrait le mieux servir les intérêts de la littérature.

17.   Stephen Spender a décrit, dans une série d'articles remarquables publiés en 1949 aux États-Unis, la solitude de l'écrivain en Amérique du nord [sic]. C'est un thème qui avait d'ailleurs été déjà traité en 1946 par un critique canadien de langue française dans une revue publiée simultanément à Montréal et à Paris. Et nous avons retrouvé aussi des opinions identiques dans plusieurs des mémoires qui nous ont été présentés. « La solitude de l'écrivain canadien n'est pas, comme on pourrait le croire, celle d'un homme ignoré, qui a quelque chose à dire et qui souffre du fait qu'on ne veuille absolument pas l'écouter », a écrit un critique canadien-français. « Elle est beaucoup plus profonde que cela. Il est possible en effet à tout écrivain canadien suffisamment doué de se faire entendre de quelques milliers de ses compatriotes, à condition qu'il n'exige pas d'eux qu'ils réfléchissent trop sérieusement à certaines valeurs courantes, à condition qu'il ne les dérange pas dans ce qu'on pourrait appeler leur confort intellectuel » (11).

18.   Si nous avons bien compris le sens de ce qu'on nous a dit c'est d'un manque d'intégration à la vie nationale que souffrirait l'écrivain canadien. C'est cette coupure de son milieu qui l'empêcherait de donner tout son rendement. Il faut donc trouver les moyens qui aideraient l'écrivain de chez nous à mieux se rallier au milieu, des moyens qui, en même temps, lui donneraient conscience de son importance dans ce milieu.

19.   Les associations et groupements intéressés nous en ont proposé de toutes sortes. La Canadian Authors Association désirerait que certaines distinctions honorifiques de grand prestige réservées aux écrivains, comme les prix annuels du Gouverneur général, soient accompagnées d'un prix en espèces, dont le gouvernement du Canada ferait les frais. On nous a conseillé aussi la création de bourses qui seraient accordées à des écrivains ayant démontré leur compétence et qui leur permettraient,

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comme dans le cas des bourses de la fondation Guggenheim, de consacrer une année entière de travail à la composition d'une oeuvre de caractère désintéressé et libre. Enfin, tout en reconnaissant l'importance de l'aide que Radio-Canada apporte déjà à nos écrivains en leur commandant des textes, en présentant des analyses et des critiques de leurs livres et, en général, en tenant compte de leur présence dans la vie nationale chaque fois que ses postes ont à présenter un programme littéraire, on a recommandé que la radio canadienne recoure encore plus souvent au talent de nos auteurs.

*Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé.

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