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Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada
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CHAPITRE XII*

LES UNIVERSITÉS

INTRODUCTION

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AU début de notre travail, nous avions pensé que les universités canadiennes n'étaient pas dans le cadre de nos attributions et que, par conséquent, elles ne devaient pas être comprises dans cette enquête. Toutefois, à mesure que celle-ci se poursuivait, il nous devint impossible de ne pas tenir compte de l'influence que les universités exercent sur les divers sujets qui ressortissent officiellement à notre mandat; et les nombreuses observations qui nous ont été faites en ce sens ont aussi aidé à nous convaincre de la nécessité d'étudier cette question. Au chapitre XIV nous aurons l'occasion de souligner certains aspects et certains problèmes se rapportant à l'activité académique de nos universités; pour le moment, nous nous bornerons à traiter de leur rôle général dans la vie canadienne.

2.    Les universités sont, chez nous, des institutions provinciales; mais leur rayonnement est plus vaste que ceci ne le laisserait croire. Ce serait une erreur grave que de sous-estimer ou de méconnaître les fonctions variées, voire universelles, de ces institutions. Nous ne les examinerons pas, ici, en tant qu'unités actives dans un régime d'éducation donné, ni en tant qu'établissements où l'on accomplit le stade final d'une carrière académique. Nous sommes persuadés, en effet, que nous ne saurions passer sous silence les autres fonctions dont nos universités canadiennes s'acquittent avec soin. Elles sont des centres locaux d'éducation au sens large du mot et les protectrices de tous les mouvements qui peuvent servir l'avancement des arts, des lettres et des sciences. Elles rendent en outre à la cause nationale directement ou indirectement des services tellement étendus qu'on peut dire d'elles qu'elles contribuent de la manière la plus efficace à la puissance et à l'unité de notre pays.

3.    Les universités ont témoigné devant nous en groupe et aussi à titre individuel. Un exposé important de la Conférence nationale des universités canadiennes nous a fait connaître le point de vue officiel de cette organisation qui réunit toutes les universités du pays. Dix-huit institutions particulières octroyant des diplômes universitaires nous ont soumis, — souvent par l'intermédiaire de leurs dirigeants, — leurs propres exposés. Les

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universités ont défini elles-mêmes la place qu'elles occupent dans la vie nationale et nous souscrivons pleinement au point de vue exprimé dans leur mémoire collectif :

« Le travail des universités canadiennes est d'une importance vitale et permanente pour le développement, dans notre pays, des arts, des lettres et des sciences, au point que le progrès en serait compromis ou paralysé si l'on apportait des entraves à l'œuvre universitaire » (1).

L'UNIVERSITÉ, CENTRE D'ACTIVITÉ LOCALE

4.   Il nous semble opportun d'examiner d'abord en quelque détail 1'oeuvre accomplie par les universités sur le plan local, œuvre qu'on a parfois tendance à accepter comme un phénomène tout naturel sans se rendre compte de son importance. Nous avons déjà dit que l'université est la protectrice des arts, des lettres et des sciences dans son rayon immédiat d'influence. Il en est ainsi, surtout, dans les régions relativement isolées; les provinces atlantiques, les Prairies et les régions littorales du Pacifique où les universités offrent les services les plus divers pour répondre aux demandes d'organisations non moins diverses. Ces services exigent du matériel et du personnel. L'université joue parfois le rôle d'hôtesse pour recevoir chez elle, dans la soirée, l'une de ces nombreuses sociétés bénévoles dont nous avons parlé dans un chapitre antérieur. Elle peut avoir à fournir non seulement le conférencier, mais encore les locaux où le cercle se réunit, et même aussi les directeurs de ce cercle. Le principal ou le recteur de l'université et ses collaborateurs s'occupent aussi, et activement, d'éducation populaire, autant que leurs fonctions académiques le leur permettent. On peut se demander si c'est là une bonne méthode. Il n'est sans doute pas souhaitable, pour l'une ou l'autre partie, que les sociétés bénévoles deviennent trop entièrement tributaires des facultés universitaires. Toutefois, dans les centres moyens où seule une élite réduite jouit des loisirs nécessaires aux occupations intellectuelles, il est hors de doute que les mouvements divers dont dépend le bien-être de la collectivité comptent sur la direction que leur donne l'université. Ce rôle inspirateur est d'autant plus important que nombreux sont nos écrivains, musiciens et peintres de renom qui font partie des facultés.

5.   L'université ne se contente pas de se mettre au service des sociétés bénévoles; elle est une source à laquelle s'alimente abondamment la vie collective. Bibliothèques universitaires, conservatoires de musique, collections de tableaux, films, disques, matériel et accessoires de musée, tout cela est placé à la disposition du public, avec cet esprit de générosité qui est l'une des plus vieilles traditions universitaires. Dans les régions éloignées, où de telles ressources sont rares, les universités ne se bornent pas à mettre ces services à la disposition de leur entourage; en dépit

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de tous les obstacles, elles s'efforcent encore de répondre favorablement à toute demande d'aide, même venue de loin, de peur que leur refus ne décourage des étudiants dignes d'intérêt.

6.   D'autre part, l'université étend et renforce son influence au sein de la collectivité par ses cours du soir et ses cours d'été, ses organisations musicales, ses services d'éducation populaire et par l'intermédiaire de sociétés bénévoles. Les cours du soir et les cours d'été sont utiles à de nombreux étudiants qui doivent compléter leurs études régulières par des leçons supplémentaires; ils sont surtout suivis par des instituteurs et d'autres personnes qui sont en quête d'une formation spéciale dans une discipline quelconque. Ils permettent à maint étudiant d'élargir son horizon et d'approfondir sa culture. On comprendra que la prestation de tels services cause de sérieux inconvénients aux universités moyennes dont le corps enseignant est limité. Ils peuvent même entraver le travail de recherche et les travaux personnels de professeurs par ailleurs surchargés de besogne. Mais leur suppression provoquerait sans doute des déceptions nombreuses et même quelque ressentiment.

7.   Les organisations universitaires d'éducation populaire profitent même, au loin, à ceux qui ne connaissent que vaguement les richesses que les universités pourraient leur offrir. Quelques universités ont ainsi organisé d'importants services de bibliothèques et de distribution de films. Les instructeurs d'éducation populaire forment (ou contribuent à former), à travers le pays, des groupes d'études de toute sorte. Les groupes de discussions agricoles, les cercles d'études ouvriers, les cercles de ménagères ou de fermières, les associations coopératives, les groupes artistiques et les cercles de jeunesse, sont tous redevables de beaucoup aux initiatives universitaires. Ils sont reliés, en quelque sorte, aux cours abrégés et aux conférences qui, tout comme les cours d'été, constituent pour nos universités un programme de travail très chargé durant la longue période des vacances. Certaines formes de cette activité peuvent sembler s'écarter considérablement du rôle traditionnel des universités; c'est exact. D'autre part, les universités accomplissent de cette façon un travail essentiel à une vie nationale saine, et souvent, on ne peut compter que sur elles pour se charger de cette responsabilité.

8.   La diversité de fonctions est donc l'une des caractéristiques de nos universités canadiennes. C'est une transition étourdissante que de passer de l'édition critique de quelque poète ésotérique du moyen âge, à l'organisation d'un cercle de jeunes agriculteurs. Mais l'université exécute cette acrobatie avec aisance. Il est probable que dans l'état présent des choses, elle soit la seule organisation à pouvoir faire tout cela. Pour imparfaits que soient les résultats, les universités ont vaillamment relevé le défi que leur proposait une nation neuve : accomplir tout, tout de suite. Dans la nation, elles sont, pour chaque collectivité, l'incarnation de la vie culturelle sous ses aspects les plus variés : les plus populaires comme les

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plus élevés. De telle sorte que si nos universités décidaient de se confiner à la seule activité académique de tradition, les efforts culturels de caractère privé et local perdraient beaucoup de leur vitalité et de leur élan.

LES UNIVERSITÉS ET LA NATION

9.   Nous avons esquissé les services que les universités canadiennes rendent aux collectivités locales. Elles peuvent aussi s'enorgueillir de leur rôle national. C'est de tout le Canada qu'affluent les étudiants qui peuplent nos facultés d'enseignement supérieur ou spécialisé; ainsi s'est établi un réseau de relations culturelles entre les diverses provinces, comme entre le Canada et l'étranger; dans chacune des grandes universités canadiennes, on trouve des étudiants venant de toutes nos provinces. Par ailleurs, certaines universités assument une responsabilité spéciale dans des disciplines dont le développement et l'enseignement présentent de l'intérêt pour le pays tout entier; la neurologie et la neurochirurgie à McGill, par exemple; l'aérophysique à Toronto et les études médiévales à l'université de Montréal ou au Collège Saint-Michel.

10.   De plus, c'est dans les universités que les services gouvernementaux trouvent leurs meilleures recrues. Il y a un quart de siècle, l'administration n'embauchait que peu de diplômés. Aujourd'hui, un nombre toujours croissant de situations administratives exigent des titres universitaires. À l'heure actuelle, l'administration fédérale emploie près de 8,000 diplômés d'université, et les situations qui sont offertes aux porteurs de diplômes augmentent à mesure que s'accroît la stature du Canada sur la scène internationale. En 1949, 600 diplômés étaient nommés à des postes gouvernementaux. Aujourd'hui, au seul ministère de l'Agriculture, sur environ 6,000 employés, plus de 2,000 sont bacheliers, licenciés ou docteurs d'université. Au ministère des Affaires extérieures, on trouve 250 diplômés sur un personnel de 1,200. Le gouvernement fédéral engage aussi un grand nombre de diplômés des deux sexes pour ses postes temporaires d'été. En 1950, près de 550 diplômés et de 1,900 étudiants étaient chargés de l'exécution de projets agricoles, de plans d'ordre économique ou statistique et d'enquêtes aussi nombreuses que variées.

11.   Il peut sembler superflu de traiter longuement de l'importante participation que les universités canadiennes se sont trouvées à apporter à la défense du pays grâce aux recherches fondamentales poursuivies pendant la guerre, travaux qui se continuent actuellement en raison de la gravité des circonstances. Il faut savoir reconnaître que notre sécurité même dépend de ce genre de travaux et que les universités seules ont qualité pour les mener à bien. De plus, dans le même ordre d'idées, il est clair que si nous voulons être capables, à la fois, de faire les frais de la défense nationale et de maintenir un niveau de vie acceptable, nous

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devons accroître sans cesse notre revenu national par l'exploitation et la mise en valeur efficaces de nos richesses naturelles. Pour toutes ces tâches, des esprits bien formés sont nécessaires. Là encore nous devons compter sur les universités.

12.   Les forces armées elles-mêmes comptent sur les universités pour la formation et le recrutement des cadres. En règle générale, tous les aspirants-officiers de l'armée doivent, lors de leur nomination, détenir un diplôme d'une des universités attitrées. Il en est de même dans toutes les divisions du Corps d'aviation royal canadien. Et dans la Marine royale du Canada la pratique se répand d'exiger un titre universitaire de ceux qui veulent obtenir un brevet d'officier.

13.   Enfin, il est encore une autre forme de service que les universités rendent à la nation et qui, si elle est difficile à exprimer en termes concrets, n'en est pas moins manifestement importante. Il arrive en effet de plus en plus souvent que l'État emprunte aux universités de nombreux membres de leur corps enseignant, pour les affecter à des postes spéciaux, non seulement dans des circonstances exceptionnelles, mais encore en temps normal. De tels services, malgré les inconvénients qu'ils présentent, sont consentis de fort bonne grâce par les universités, et à bon droit. Car le service de l'État doit pouvoir profiter des efforts de ceux qui sont habitués à poursuivre un travail en toute liberté d'esprit avec une entière bonne volonté et un désintéressement complet.

LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

14.   La recherche scientifique est indispensable au bien-être et à la sécurité de la nation. C'est dans les universités qu'elle est née. Sans les universités, elle mourrait. Les milliers d'hommes et de femmes qui se consacrent aux recherches fondamentales qu'on peut définir comme des recherches libres, poursuivies dans le seul but de découvrir une vérité scientifique, dans quelque domaine spécial comme celui de l'énergie atomique ou du progrès industriel, ont, à quelques exceptions près, reçu leur formation dans les universités canadiennes. Par ailleurs, c'est surtout sous l'égide des universités que se font les recherches dans les principaux domaines de la science pure ou appliquée. Bien que le Conseil national de recherches fournisse aux universités un matériel coûteux et qu'il y entretienne plusieurs spécialistes diplômés, c'est des fonds universitaires que provient presque entièrement la rémunération de ceux qui dirigent ces recherches. De plus, les universités créent et maintiennent des laboratoires, fournissent une partie de leur équipement et assument les frais des services généraux. Bien que le Conseil national de recherches ait accordé aux universités canadiennes, en 1949-1950, plus d'un million de dollars pour la recherche, et que la part distribuée par le Conseil des recherches de défense se soit élevée, pour la même année, à près d'un

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demi-million, il n'en reste pas moins vrai que, pour chaque millier de dollars qui leur vient de l'extérieur en octrois de recherche, les universités doivent engager 300 dollars de leur propre caisse. On peut dire, pour résumer, que l'avenir de la recherche scientifique au Canada repose entièrement sur la continuation et l'essor des travaux universitaires.

15.   Il nous a semblé opportun de décrire, de façon succincte, les services que rendent nos universités aux collectivités locales et à la nation tout entière. Le rôle qu'elles jouent, en fait, et que nous avons exposé, dépasse les limites du rôle essentiel d'une université dans le domaine de l'instruction académique; mais ces initiatives supplémentaires, sur le plan communal et national, n'en sont pas moins des éléments essentiels de notre tradition universitaire. De plus, leur valeur est telle que, fûssent-elles [sic] supprimées ou réduites, les collectivités et l'État lui-même seraient dans l'obligation de créer, de toutes pièces, des institutions qui devraient les assumer.

LE TRISTE SORT DES HUMANITÉS

16.   Parce que nous sommes fermement convaincus de la place centrale que les universités canadiennes occupent dans la vie nationale, nous sommes inquiets d'une tendance qui se manifeste au Canada aussi bien que dans la plupart des autres pays et qui, si l'on n'y met bon ordre, minera sourdement l'œuvre accomplie par les universités dans tous les domaines. C'est un fait que les disciplines que l'on identifie habituellement à la culture générale et au savoir désintéressé sont insidieusement éliminées des programmes ou, encore, qu'elles sont enseignées d'une façon incompatible avec leur caractéristique traditionnelle. Il y a beau temps que ceux qui furent élevés dans le respect de la tradition classique déplorent ce glissement de certaines valeurs autrefois bien stables et que des doutes à ce sujet s'éveillent même dans l'esprit du profane. Non seulement cette tendance a une influence fâcheuse sur l'évolution des universités, en tant que leurs fonctions sont en jeu, mais les résultats de leur action s'en ressentent d'une façon regrettable. « Le sort lamentable des humanités » a ses répercussions même dans le domaine des sciences, et voilà déjà quelque temps que l'on s'inquiète du problème au cours de discussions où une anxiété très nette se fait jour. Maint établissement d'enseignement supérieur nous a soumis, sur ce point, d'importantes observations.

17.   Nous aurons l'occasion de présenter plus loin, d'une façon assez détaillée, la distinction d'ordre philosophique entre le domaine de l'humanisme et celui de la science, ainsi que les relations entre l'un et l'autre. Pour le moment, nous ne ferons qu'exposer les aspects du problème, tel qu'il se pose dans la pratique aux universités. On trouverait des

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gens qui ne croient pas à l'existence d'un tel problème. De supposés esprits réalistes estiment en effet que, dans un âge où les valeurs utilitaires ont la vedette, les humanités doivent mourir de mort naturelle. « À quoi bon les ressusciter ? » demandent-ils. Ce qui n'empêche nullement ces gens pratiques de s'exclamer, presque au même instant: “ Pourquoi nos employés ne peuvent-ils rédiger un mémoire de style lucide ou écrire une lettre compréhensible? ” Il est fréquent, en effet, de ne pas saisir la relation étroite qui existe entre ce déplorable état de choses et la désintégration des études d'humanités; car elle a la vie dure l'opinion professant que les humanités ne sont qu'un ornement élégant surajouté à l'éducation, un ornement plein de grâces sans doute, mais, à coup sûr, inutile. Et pourtant ce n'est pas une broderie superflue que tissent les arts libéraux, mais bien la trame même de l'esprit. L'étude sérieuse de disciplines aussi essentielles que l'histoire, la philosophie, la littérature a pour objet ni plus ni moins que d'enseigner à l'étudiant à penser, de former son esprit, de cultiver son jugement et son goût et de lui apprendre à s'exprimer avec précision et clarté. Que saurait-il y avoir de plus pratique ? S'il nous semble, comme à beaucoup d'autres, que l'enseignement supérieur devient toujours moins efficace dans la poursuite de ces fins, c'est que nous déplorons alors, sans le savoir, la décadence des humanités.

18.   Les études humanistes n'appartiennent pas, en exclusivité, aux facultés d'arts libéraux; elles devraient s'infiltrer hardiment dans les écoles professionnelles et imprégner l'ensemble de l'enseignement universitaire. L'une des fonctions essentielles de l'université est de préparer ses étudiants à exercer les professions libérales; mais, si une profession est dite “libérale”, c'est qu'elle demande une formation dans les arts libéraux. Une école professionnelle d'où les humanités sont exclues n'est qu'un institut d'enseignement technique. Notre homme pratique dira peut-être : « Pourquoi encombrer un médecin, un ingénieur ou un homme le loi d'une formation académique qui n'a pas d'utilité ? Pourquoi leur demander d'aller s'égarer d'une façon gratuite dans les études d'humanités? » La réponse est que les arts libéraux, enseignés comme il se doit, amèneront un médecin, un ingénieur ou un homme de loi à exceller davantage dans l'exercice de sa profession. La discipline intellectuelle que développent les arts libéraux habitue l'étudiant à penser clairement. Elle l'aide aussi à acquérir les vues d'ensemble qui lui permettront de situer son activité professionnelle dans le cadre général de l'existence humaine. Un tel degré de puissance cérébrale peut se trouver tout naturellement chez quelques sujets d'élite. Mais, s'ils sont avisés, les membres des professions libérales et les hommes d'affaires seront les premiers à reconnaître que l'écrasante majorité des étudiants augmentent leurs aptitudes dans l'ordre pratique en se soumettant aux disciplines des arts libéraux, quelque bonne que puisse être, par ailleurs, leur formation professionnelle.

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19.   Cette indifférence envers les humanités apparaît aussi dans les études de science pure. La rigueur de la formation aux méthodes de recherche a été accrue, mais les disciplines intellectuelles de l'humanisme ont été réduites d'autant. L'Église anglicane du Canada déclare, avec raison, dans son mémoire : « Nul domaine des connaissances ou des recherches, quelle qu'en soit l'importance spécifique, ne devrait pouvoir suppléer à une formation humaniste de base » (2) . Nous savons que cette opinion est celle de nombreux spécialistes des sciences naturelles, qui comprennent les rapports de ces sciences avec la philosophie générale de la vie. Si l'on perd de vue ce genre de relations, il en résulte de graves conséquences, comme le démontrent en fait ceux qui se plaignent qu'un trop grand nombre de savants (surtout dans certains domaines des sciences appliquées) ne sont tout au plus que des techniciens d'un rang supérieur à qui manque une vue d'ensemble de leur spécialité ainsi que l'esprit critique qui leur permettrait de juger du résultat de leurs propres efforts. La même faiblesse se retrouve chez certains spécialistes des sciences sociales. Ce genre d'études gagne, chaque jour, en importance; mais on est forcé de reviser la plupart des conclusions auxquelles sautent trop vite ceux qui ont subi, trop tôt, une formation technique rigide et complexe, avant d'avoir pu acquérir une connaissance et une intelligence humaniste de la société humaine. C'est pourtant sur l'homme qu'en définitive ces spécialistes doivent travailler.

20.   En outre, là où l'on enseigne encore les humanités, cet enseignement doit trop souvent abandonner progressivement son caractère traditionnel. Les œuvres de littérature classique sont devenue la pâture du philologue; l'histoire n'est plus qu'une soeur cadette de la sociologie, la philosophie s'étiole à l'ombre de la psychologie, l'étude de la littérature n'a plus cette puissance d'inspiration qui incitait l'étudiant à bien écrire, à lire avec discernement et avec goût. Nous voilà à la source du mal dont souffrent les humanités; s'il y a tendance peut-être à les abandonner graduellement, c'est qu'elles ont elles-mêmes abandonné leur voie. Les professeurs d'humanités ont d'abord perdu de vue l'objet véritable de leur discipline; cela les a entraînés à laisser tomber les méthodes propres aux humanités et à se laisser prendre à la séduction de méthodes utilitaires prétendument scientifiques qui sont bonnes en elles-mêmes mais qui deviennent dangereuses quand on les applique mal à propos. Ce n'est certes pas en déplorant sa décadence et en nous efforçant de le faire revivre, sans comprendre son vrai sens ou son rôle, que nous rendrons service à l'humanisme. Il est moins grave de négliger les humanités que d'en fausser la philosophie.

21.   En définitive, les humanités doivent surtout être appréciées pour elles-mêmes. Les études libérales ne se contentent pas d'introduire, dans l'éducation, les disciplines intellectuelles sans lesquelles elle n'a aucun

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sens; elles éveillent, chez l'étudiant, une curiosité de l'esprit et un intérêt dont la qualité enrichit son existence. L'université a pour fonction, en leur donnant une éducation libérale, de préparer ceux qui la fréquentent à vivre d'une façon plus complète; ce devrait être vrai de tous les types de disciplines universitaires. Les cours académiques, où la juste place n'est pas donnée aux humanités, sont desséchés et ils n'ont pas de valeur de formation générale. Ils préparent l'étudiant à gagner sa vie, mais ils ne lui donnent rien de ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. Comment en sommes-nous venus à oublier cette vérité essentielle ? Nous avons déjà fait mention du machinisme et des tendances utilitaires des générations qui ont immédiatement précédé la nôtre. On peut aujourd'hui distinguer les signes d'un certain changement, mais le triste sort de nos humanités inspire de graves inquiétudes, et les esprits sérieux cherchent, de tous côtés, un remède. Nous n'avons pas de panacée à leur offrir, mais nous croyons fermement qu'on peut au moins retrouver envers ces disciplines, qualifiées à tort de peu pratiques, ce respect agissant qu'un âge trop pratique leur a, si longtemps, refusé.

22.   Les humanités, dans l'enseignement, sont devenues des parents pauvres. Si, par exemple, nous considérons l'importance d'une bibliothèque universitaire comme mesure assez exacte de l'intérêt porté aux arts libéraux et en particulier aux recherches de cet ordre, ce que nous découvrons est révélateur. Si l'on établissait un tableau des universités nord-américaines, gradué selon le nombre des volumes de leurs bibliothèques, les universités canadiennes les mieux fournies sous ce rapport se trouveraient tout au bas de l'échelle, à un niveau humiliant. De plus, il est à noter que la majorité des bibliothèques universitaires des États-Unis, possédant plus de livres que celles des universités canadiennes les mieux pourvues, appartiennent à des institutions de fondation plus récente que les nôtres et dont les étudiants sont moins nombreux que dans nos universités les plus renommées. Plusieurs d'entre elles se trouvent d'ailleurs dans des villes ayant en outre de très grandes bibliothèques municipales. Cela nous rappelle à nouveau la dette contractée par les universités canadiennes à l'égard des États-Unis et souligne notre tendance regrettable à nous reposer trop entièrement sur les institutions américaines pour des services que nous aurions dû établir afin de pourvoir à nos propres besoins.

23.   D'autre part, si l'échelle des traitements peut être prise comme une indication de la valeur qu'on attache aux travaux académiques, les tableaux ci-dessous ont leur valeur de démonstration. Les chiffres en sont fondés sur les conditions régnant dans trois universités canadiennes, et il est permis de croire qu'ils donnent une idée comparative assez complète des salaires universitaires les uns par rapport aux autres.

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TABLEAU I

Traitements dans trois universités canadiennes typiques —1949 - 1950(3)
Humanités
Échelle des traitements ($) Nombre de professeurs Nombre de professeurs adjoints Nombre de professeurs assistants
5,250-6,750 18 1  
4,500-5,249 15 4  
3,750-4,499 7 10 5
3,000-3,749   8 31
2,500-2,999     16
 
Supérieur $6,500 $5,500 $3,750
les 20 % supérieurs 5,750 4,250 3,500
La médiane 5,000 3,750 3,000
Le mode 5,000 3,500 3,000
Bas 3,750 3,000 2,500

TABLEAU II

 

Traitements dans trois universités canadiennes typiques —1949 - 1950

 

Génie, médecine et science

Traitements dans trois universités canadiennes typiques  -- 1949 - 1950
Génie, médecine et science
Échelle des traitements Nombre de Professeurs Nombre de professeurs adjoints Nombre de professeurs assistants
10,000 et au delà 4    
6,750-9,999 8 1  
5,250-6,749 35 3 2
4,500-5,249 16 11 3
3,750-4,499 5 38 3
3,000-3,749   14 64
2,250-2,999     9
 
Supérieur Au-dessus de $10,0000 $7,000 $6,500
Les 20% supérieurs 6,500 4,500 3,500
La médiane 5,500 4,000 3,250
Le mode 5,000 4,000 3,000
Bas 4,000 3,250 2,250

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Ces chiffres sont troublants; ils démontrent avec évidence que, dans le domaine des humanités, les postes universitaires sont moins nombreux et moins rémunérés que dans celui de la science pure ou de la science appliquée.

24.   Il serait injuste cependant de ne pas signaler que, dans la mesure où elles peuvent s'exercer, de sérieuses forces de résistance s'opposent à l'offensive contre les humanités. La Conférence catholique canadienne a rendu un impressionnant hommage à ces forces de résistance. Après avoir reconnu que les humanités sont plus que jamais indispensables à la préservation de notre patrimoine spirituel, la Conférence, les considérant aussi dans leur aspect pratique de disciplines formatrices, déclarait : « Nous devons donc à tout prix conserver jalousement et, grâce aux méthodes nouvelles de pédagogie, développer les humanités, afin qu'elles jouent le rôle qui leur revient dans la formation de l'homme » [sic] (4). D'autre part, comme nous l'avons déjà dit, les porte-paroles des universités canadiennes sont loin d'être satisfaits de la situation actuelle telle qu'elle peut être jugée par les chiffres énumérés plus haut.

TABLEAU III

Régime financier des universités canadiennes, de 1943 à 1949
  1943-4 1944-5 1945-6 1946-7 1947-8 1948-9
Revenus provenant de Dons 1,562
15.9%
1,827
17.9%
1,684
11.5%
1,635
8.1%
1,697
7.9%
1,749
8.0%
Revenus provenant des droits d'inscription des des étudiants (sauf les frais de pension) 3,378
34.3%
3,444
33.8%
5,539
38.0%
8,028
40.0%
8,537
44.2%
9,932
48.0%
Subventions d'ordre général accordées par les gouvernements provinciaux 3,978
40.5%
4,289
42.2%
4,487
30.8%
6,262
31.2%
5,573
25.8%
6,082
32.8%
Recettes provenant des versements du Ministère des Anciens combattants s'ajoutant aux droits versés par les étudiants compris ci-dessus 4
0.0%
4
0.0%
1,865
12.8%
3,222
16.0%
2,822
13.1%
2,137
10.3%

[168]

LA CRISE FINANCIÈRE DES UNIVERSITÉS

25.   La grande pitié des humanités n'est qu'un des aspects du problème plus vaste qui se pose également à tous les échelons de l'organisation universitaire. Nos universités, qui sont, nous l'avons vu, un élément essentiel dans notre vie nationale, font face à une crise financière d'une telle gravité que les services que l'on en attend menacent d'être considérablement diminués et affaiblis à l'avenir. Dans son mémoire, la Conférence nationale des universités canadiennes a dressé deux tableaux que nous reproduisons ici car ils éclairent la situation d'un jour révélateur. Le premier énumère les différentes sources de revenus dans huit universités canadiennes : Laval, McGill, Queen et les universités de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick, de la Saskatchewan, de Toronto et de l'Ouest de l'Ontario. Ce groupe typique comprend les trois quarts des étudiants du Canada.

26.   Les universités sont donc menacées d'une part par un abaissement progressif ou graduel des recettes et d'autre part par l'accroissement des dépenses. On a bien relevé les frais de scolarité, mais le revenu qui provient de cette source ne peut combler qu'une part minime du déficit. Comme le tableau III l'indique clairement, les universités susmentionnées durent, en 1948-1949, percevoir 52 p. 100 de leur revenu d'autres sources : 32.8 p. 100 leur vinrent des gouvernements provinciaux; 10.3 p. 100 du ministère des Affaires des anciens combattants, ce qui équivaut à un total de 43.1 p. 100 provenant de sources gouvernementales.

27.   Autre fait significatif: le revenu que fournissent les dons divers et les subventions provinciales décroît constamment, en proportion du revenu total. Les universités ont donc tendance à devenir tributaires, dans une mesure toujours plus large, des droits d'inscription que leur versent les étudiants; il faut ajouter que les subventions supplémentaires versées par le gouvernement fédéral n'ont pas réussi, ces dernières années, à combler le déficit. Ces subventions au montant de $150.00 par étudiant ancien combattant avaient pour but d'aider nos universités à acquitter ce supplément de frais généraux occasionné par l'inscription, après la guerre, des étudiants anciens combattants. De plus, les frais de scolarité de ces étudiants étaient payés par le gouvernement fédéral dans le cadre du programme général d'aide aux anciens combattants. Cette formule d'aide elle-même fut impuissante à résoudre le problème financier des universités; d'ailleurs elle doit être abandonnée le 30 juin 1951, alors qu'il y aura encore un certain nombre d'étudiants anciens combattants dans nos universités. À cause des conditions d'après-guerre les universités doivent faire face à des dépenses nouvelles; elles ont été poussées à créer des services et des cours nouveaux, à élargir leurs écoles professionnelles et à fournir le matériel supplémentaire requis par l'expansion des travaux de recherches. Et, même lorsqu'elles reçoivent des capitaux pour la construction de bâtiments, les frais d'entretien de ces bâtiments leur imposent de nouvelles charges financières.

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LES UNIVERSITÉS

28.   Entre les années 1943 -1944 et 1948 -1949, comme le montre le tableau ci-dessous, le nombre des inscriptions universitaires est monté en flèche, mais le revenu des universités n'a pas augmenté dans la même proportion. En conséquence, les dépenses des universités, par tête d'étudiant, sont tombées en moyenne de $515 à $433, dans une période où le coût de la vie a, par contre, augmenté presque de moitié.

TABLEAU IV

 Dépenses d'un groupe d'universités canadiennes à des fins académiques

(ne comprenant ni les frais de construction ni les frais de pension et de logement)

Dépenses d'un groupe d'universités canadiennes à des fins académiques (ne comprenant ni les frais de construction ni les frais de pension et de logement)
Année académique Dépenses totales
$
Nombre d'étudiants réguliers Dépense par étudiant
$
1943-4 9,831,000 19,071 515
1944-5 10,190,000 20,971 486
1945-6 14,575,000 36,921 395
1946-7 20,090,000 47,812 420
1947-8 21,597,000 49,991 432
1948-9 20,712,000 47,811 433

Ici, un commentaire s'impose. Si, dans une affaire privée, on constate une diminution du prix de revient d'un produit, la direction s'en félicite. Dans une université, par contre, le même phénomène est peut-être moins digne d'éloges. En principe les économies judicieuses sont, sans contredit, une bonne chose et dans le commerce et dans renseignement; mais même un établissement commercial peut souffrir des conséquences d'une économie mal comprise. Dans une université, ses effets désastreux peuvent prendre du temps à apparaître. Trop souvent ils se traduisent par une perte dans la qualité de l'enseignement, dont les symptômes sont des professeurs surmenés, des salles de classe bondées et un matériel insuffisant. Un tel déclin s'établira d'une façon permanente dans les universités où il s'est produit si leurs revenus ne s'accroissent pas. À une époque où même le maintien du niveau actuel exige une augmentation de dépenses, l'œuvre accomplie par les universités canadiennes menace donc de se dégrader dans des proportions alarmantes, faute de ressources matérielles.

29.   L'influence des conditions financières se fait sentir sur un autre plan, celui de la distribution proportionnelle des étudiants par centres d'origine. A mesure qu'augmentent les frais de scolarité, les étudiants viennent en proportion toujours plus grande des collectivités qui sont les plus riches. Bien qu'il soit difficile de se procurer une statistique comparative, nous avons appris, des dirigeants des universités urbaines, que, ces dernières années, le pourcentage des étudiants ruraux a sensiblement baissé et que


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la proportion des étudiants citadins augmente sans cesse dans leurs institutions. Les universités se trouvent donc ainsi privées de leurs sources de renouvellement, et l'équilibre dans la représentation des groupes urbains et ruraux chez les étudiants est rompu. Les causes de cette rupture sont avant tout d'ordre économique. Non seulement les étudiants qui demeurent en ville peuvent plus facilement acquitter les frais, mais leurs dépenses se trouvent réduites du fait qu'ils vivent au sein de leur famille. La question d'argent influe ainsi fâcheusement sur la composition des effectifs des étudiants. Mais l'étudiant des campagnes n'est pas le seul à en souffrir; car, même dans les villes, bon nombre de jeunes garçons ou de jeunes filles de talent ne peuvent accéder à une formation supérieure, faute de moyens suffisants. Ce problème retiendra notre attention dans un chapitre ultérieur.

30.   Nous avons peut-être donné une forme trop sommaire à l'analyse d'un état de choses inquiétant, que nos universitaires ne connaissent que trop bien mais que le public ne voit pas aussi clairement. Les universités sont des institutions essentielles d'instruction supérieure et de culture générale; elles sont le terrain de formation des spécialistes et des hommes des professions libérales, et le lieu d'élection de la recherche scientifique supérieure. Depuis des années, elles souffrent d'une insuffisance de revenus; à l'heure actuelle, elles affrontent une crise financière grave. Elles sont réduites à un régime économique qui a amené certaines conséquences regrettables. D'importants travaux d'expansion ont été arrêtés. La qualité de leur œuvre a été compromise, la composition sociale du personnel étudiant s'est dangereusement altérée. Mais la conséquence de cet état de choses qui nous touche le plus en tant que Commission, et qui, à notre avis, est d'autant plus périlleuse qu'elle est plus subtile, est cette indifférence où sombrent les humanités et la déformation que leur enseignement a subie. Le manque de revenus n'est pas la cause unique de cette situation, nous a-t-on dit, mais bien l'un des facteurs déterminants. Les exigences de la civilisation contemporaine ont forcé les universités à se préoccuper toujours plus de la formation technique. Les dons qu'on leur consent sont souvent accordés à cette fin. L'incitation à " accélérer la production " et à mettre l'accent d'importance sur la technologie, dans les programmes universitaires, a concentré l'attention sur les disciplines de valeur purement utilitaire. L'un des témoins que nous avons entendus, a appelé cette tendance : " un complot contre l'éducation ". Nous n'avons, certes, ni le droit ni le désir d'enseigner aux universités comment conduire leurs affaires, mais si la pénurie des fonds entrave vraiment leurs fonctions de " pépinières d'hommes représentatifs d'une civilisation et d'une vie culturelle réellement canadiennes " (c'est leur propre expression), nous sommes alors convaincus que le problème réclame l'attention de la nation tout entière. C'est pourquoi, dans la deuxième partie de notre Rapport, nous soumettrons des avis quant aux moyens qui permettraient à nos universités de remplir plus parfaitement cette fonction essentielle.

*Extrait de: Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa: Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du conseil privé.

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