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Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada
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ORGANES D'INFORMATION COLLECTIVE *

INTRODUCTION

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AVANT d'aborder les problèmes de la radiodiffusion, du cinéma et des autres organes d'information collective au Canada, il n'est peut-être pas sans intérêt de rappeler que la moitié environ de la population canadienne est née avant 1923; que la majorité d'entre nous ont grandi dans une société où la radio était inconnue, où le cinéma n'était pas encore une habitude généralisée mais un objet de curiosité, où, par conséquent, l'activité culturelle de la plupart des petites collectivités gravitait autour de l'église, de l'école, de la bibliothèque locale et du journal local.

2.   Jetons tout d'abord un coup d'œil sur le Canada de langue anglaise. La plupart des Canadiens de trente ans ou plus, par exemple, se rappellent probablement que la musique d'un organiste ou d'un chœur d'église est pour ainsi dire la seule qu'il leur a été donné de connaître au cours de leurs premières années. Plus souvent qu'autrement, l'organiste était originaire de la métropole où il avait été formé dans la tradition anglaise de l'orgue et de la musique chorale. Assez fréquemment, il différait d'avis avec les autorités de son église sur le goût et les convenances en matière musicale. Les grands événements musicaux de l'année étaient habituellement des concerts donnés par les chœurs de l'église locale assistés d'une célébrité de passage. S'il est vrai que la radio a accru considérablement le nombre des auditeurs, il reste que, bien avant son avènement, la vie musicale au Canada était vigoureuse et florissante. Le goût musical d'une bonne partie de la population était formé, dans une grande mesure, par des musiciens bien exercés, qui apportaient chez nous toute une tradition de belle musique. À notre avis, l'œuvre des organistes anglais au Canada, de 1880 à 1920, pourrait faire le sujet d'une étude historique et sociale très instructive. Quelques-uns de ces musiciens, établis à Toronto, à Montréal et dans d'autres grandes villes, se sont acquis une véritable réputation nationale qui subsiste encore. D'autre part l'œuvre des musiciens distingués, qui ont initié tant de nos petites villes à une partie importante de la grande musique universelle, mérite aussi d'être signalée.

3.   L'église a joué un rôle important dans la vie de la collectivité, non seulement par son apport musical mais aussi par ses initiatives d'ordre littéraire. Le recteur ou le pasteur prononçait des conférences sur Dante

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ou Browning, sur Victor Hugo ou Lewis Carroll; on le réclamait partout avec sa provision de clichés de Londres ou de Terre Sainte et, en maints petits endroits, sa bibliothèque était la seule qu'on pût trouver à bien des milles à la ronde. C'est lui qui montait et dirigeait le grand spectacle que présentait chaque année l'école du dimanche, où de jeunes acteurs turbulents faisaient leurs premiers essais de théâtre. C'est lui aussi qui habituellement fournissait et choisissait les prix qu'il décernait ensuite aux moins indisciplinés de ses jeunes ouailles.

4.   Il y a trente ou quarante ans, l'école, même dans les grandes villes, occupait au centre de la vie collective une place réservée qu'elle n'a plus peut-être aujourd'hui que dans les régions rurales. Qui pourrait oublier ces semaines de préparation, cette animation fiévreuse qui atteignait son comble le jour de la pièce et du concert présentés par l'école ? Voici le grand soir : le rideau est tiré, — par saccades et une demi-heure en retard, — mais la pièce avec l'éclat de ses lumières et de ses couleurs, avec ses larmes, ses rires, ses triomphes, ses désastres, la pièce commence. Et le numéro final du concert ? Toute l'école, rangée sur des gradins, attaque le Maple Leaf un demi-ton trop haut, une demi-mesure trop tôt, mais, avec la facilité et l'adresse de musiciens nés, le chœur rétablit l'équilibre au bout de quelques mesures, au soulagement et à la surprise du directeur d'abord indigné. C'était "notre" pièce, '"notre" concert et surtout c'était "notre" auditoire.

5.   Bien des Canadiens se souviennent sans doute, avec une affection reconnaissante des bibliothécaires qui dans nos villes et nos villages ont tant fait pour leur donner le goût de la bonne lecture et pour satisfaire ce goût. C'est grâce aux conseils discrets d'une dame un peu distante, un peu amusée tout de même, qui semblait bien vieille et qui disparaissait presque entièrement derrière des piles de livres, que plusieurs d'entre nous sans doute ont connu les joies pures de la lecture. Nous n'avions pas, à cette époque, d'illustrés pour enfants, nous lisions Treasure Island, The White Company, ou la longue série de Henty qui, nous l'espérions, ne s'épuiserait jamais. N'oublions pas non plus le rédacteur du journal local, qui avait ses opinions tranchées sur la politique et sur les cigares, qui dans sa jeunesse avait vu Mark Twain et qui, bien avant l'avènement des journalistes collaborant simultanément à plusieurs journaux, consignait, interprétait les événements de la collectivité, soucieux avant tout d'écrire en une prose anglaise mordante. Ce n'était pas un organe d'information collective qu'il publiait; il rédigeait un journal.

6.   La radio, le cinéma, les journaux hebdomadaires ont apporté dans des lieux reculés et solitaires, de nouvelles occasions d'agrément, ainsi que des connaissances fort instructives. Ils ont sans doute contribué pour beaucoup à varier les joies de notre existence. Mais, dans l'abondance qui nous accable, ne sommes-nous pas trop portés à oublier que la musique, le théâtre et les lettres exigent de notre part plus qu'une satisfaction passive ?

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En cette ère nouvelle de la télévision, de la radio et des films documentaires, il serait malheureux que nous cessions d'entendre nos chorales et nos organistes qui répètent le Messie avec beaucoup d'application et de courage, et dont la musique suave nous arrive faiblement, mais avec une grande douceur, dans le calme nocturne d'un hiver qui commence.

7.   Tournons-nous maintenant vers la Province de Québec, à la même époque. Remontons le cours des ans jusqu'à 1910, 1905, 1900. L'histoire pourrait commencer comme toutes les belles histoires : il était une fois des villes et des villages heureux, des villes et des villages qui produisaient pratiquement chez eux presque toute la culture intellectuelle qu'ils consommaient et qui recevaient de l'extérieur le reste de leurs moyens de culture sous forme de livres, d'illustrés, et, dans le cas des plus grandes villes, sous forme aussi de tournées de concerts et de représentations dramatiques.

8.   C'était l'époque charmante du début des communications téléphoniques. Les premiers contacts de nos grands-parents avec ces appareils hâtivement conçus, dans un temps où l'on ne connaissait pas les raffinements du dessin industriel, étaient ahurissants. D'abord ils hésitaient à confier de véritables paroles humaines à ces machines qui vous entendaient et vous parlaient sans vous voir. Et puis, tout à coup, conscients que, miracle des temps, leurs voix portaient à trois ou quatre milles plus loin, ils se mettaient à hurler, sous le prétexte beaucoup trop logique que, lorsqu'on veut être entendu à distance, il faut parler plus haut que lorsqu'on fait des confidences à sa voisine de table.

9.   Le téléphone, c'était une première étape vers l'invention de toutes ces machines à culture sonore qui sévissent aujourd'hui. Car, en termes d'histoire de la civilisation, la t.s.f., les reproducteurs électriques, la télévision ont suivi de près l'usage populaire du téléphone qui nous a appris, le premier, qu'il n'était pas du tout nécessaire d'aller dire en personne à ses amis ce qu'on voulait leur communiquer. Avant que son usage ne se répandît, les échanges humains étaient volontaires et personnels. Aujourd'hui ils sont automatiques, faciles et impersonnels. Les échanges culturels devaient vite emprunter la même pente.

10.   En ce temps-là, par exemple, pour la musique on comptait encore sur des artistes ou des amateurs que l'on connaissait, avec qui l'on pouvait avoir des relations suivies. Dans les villages, la musique était le fief du maître-chantre, du curé, de l'organiste et de la femme du docteur ou du notaire. Sans doute, le maître-chantre avait-il parfois des poumons qui rivalisaient avec la soufflerie de l'orgue, mais il reste qu'il était étonnamment à l'aise dans la pratique du plain-chant. L'organiste, de son côté, savait faire des prodiges pour garder le chœur de chant dans les limites du rythme et le respect de la tonalité. Le curé brandissait, le dimanche, une voix façonnée pour les appels que se lancent les paysans d'un champ à l'autre. Cette voix sincère et près de la nature devait combler d'aise le cœur de

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Dieu. Quant à la femme du notaire ou du docteur, les piaillements de sa nichée ne l'empêchaient pas d'agrémenter ses soirées de l'inévitable « Carnaval de Venise », qu'elle reprenait chaque fois avec le même entrain.

11.   Dans les villes, c'était la fanfare du séminaire ou du collège qui se chargeait de la musique de circonstance, et Dieu sait si, à cette époque, les célébrations de tricentenaires et de centenaires revenaient souvent. Le directeur de la fanfare déposait sa baguette quelques mois à l'avance et composait lui-même une cantate, une ouverture ou une marche, selon les besoins ou, mieux, selon son état d'âme du moment. Les premières mesures s'inspiraient infailliblement de Poète et paysan de Franz von Suppé, les passages grandioses étaient dans la manière italienne, et l'ensemble avait un petit air gaillard, déjà connu, et définitif. Le compositeur improvisé prenait bien soin de placer au bon endroit un solo que le trombone exécuterait, debout, entre ciel et terre. L'instrumentiste élu se levait, recueilli et gonflé à bloc, et il étirait ses tubes à coulisse, d'un geste qui aurait fait tomber les murailles de Jéricho. Ah! le beau temps!

12.   Quant à la musique que l'on pouvait entendre dans les grandes églises de ville, elle était d'une qualité qui n'a pas été dépassée encore. Nos organistes célèbres du temps avaient reçu leur formation dernière en Europe. Ils y avaient appris le sens de la musique liturgique qu'on venait de redécouvrir là-bas. Et le dimanche, dans le silence de l'offertoire, ils retrouvaient, pour l'interprétation d'une grande pièce classique, les meilleures leçons qu'ils avaient prises des vieux maîtres. L'un deux pouvait être brillant comme Listz; l'autre, classique et secret comme Saint-Saëns, le troisième avait l'ampleur et le sens mélodique de César Franck. Heureusement, ces bons musiciens de jadis ont su former des élèves, dont quelques-uns, d'ailleurs étaient leurs propres fils.

13.   C'était aussi une époque favorable aux lectures prolongées et bien protégées. Dans les campagnes, la bibliothèque paroissiale de trois ou quatre cents livres suffisait aux besoins des liseurs. On la conservait habituellement dans des armoires de la sacristie, et peu à peu ces romans inoffensifs, ces ouvrages d'hagiographie, dont quelques-uns étaient d'étonnants ouvrages d'érudition, s'imprégnaient d'une délicieuse odeur d'encens refroidi. Le curé régnait de loin sur la bibliothèque, et c'était la maîtresse d'école qui en assurait le service. Elle ignorait tout du système de classification décimale, elle était même beaucoup trop fine pour imaginer qu'on pût jamais avoir le mauvais goût de créer un mot aussi horrible que “bibliothéconomie”, mais elle remplissait son rôle de bibliothécaire avec dévouement, ponctualité et discernement. Sans le savoir, elle faisait déjà de l'éducation des adultes, et elle le faisait bien.

14.   Dans les villes, les hautes maisons silencieuses des bourgeois abritaient toutes une belle bibliothèque, comme d'ailleurs la maison de l'avocat et du notaire à la campagne. Ces derniers onservaient encore vers 1900,

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dans des reliures d'époque, des collections complètes de ce droit coutumier français qui avait force de loi au Canada, sous l'ancien régime. Ces livres n'avaient pas été ouverts depuis cent ans, mais on les gardait et on continue à se les transmettre. La bibliothèque d'un grand marchand de Québec ou de Montréal était plus moderne, mais on y trouvait cependant de beaux exemplaires de nos tout premiers historiens, quelques petits livres du XVIIIe siècle à côté des œuvres des plus illustres écrivains du cru. Près de cette bibliothèque se dressait une armoire où l'on conservait l'orfèvrerie et les biens de famille : les plats et écuelles d'argent au poinçon de Laurent Amyot ou de quelqu'autre grand orfèvre canadien d'autrefois, des albums d'anciennes photographies, que l'on feuilletait pour retrouver des souvenirs, une date oubliée.

15.   La voix caverneuse d'un speaker de radio aurait résonné étrangement dans ce décor, le clignotement de la télévision aurait affolé ces gens accoutumés à regarder de beaux portraits, aux visages pensifs et calmes. Aujourd'hui, « l'opéra-savon  » a plus de popularité que l'opéra tout court, et la pin-up girl fait sa gymnastique à cet endroit précis du mur où était suspendue l'image de cette ravissante et pudique jeune femme de vingt ans qui fut un jour votre grand'mère.

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*Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé.

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