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Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada
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LA MUSIQUE*

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1.   À l'instar de la plupart des autres pays, le Canada porte à la musique sérieuse un intérêt qui s'est accru prodigieusement depuis un quart de siècle. Le perfectionnement et la production en série des postes récepteurs de t.s.f. et des phonographes ont eu sur la musique un effet qu'on peut légitimement comparer à celui qu'ont eu sur les lettres l'invention de l'imprimerie et plus tard la généralisation de l'instruction. S'il est vrai qu'on diffuse ou enregistre surtout de la musique populaire et légère, il n'en est pas moins exact que le citoyen qu'intéressent vraiment les œuvres plus sérieuses trouve aisément toute la musique de qualité qu'il a le temps d'entendre. Nous avons de bonnes raisons de croire qu'une partie de plus en plus importante du public canadien acquiert progressivement un goût très sûr en matière musicale et qu'il en est arrivé à prendre un réel plaisir à l'audition de la grande musique dignement interprétée. On nous a dit que, depuis quinze ans, la vente des disques de musique classique a quintuplé (1). Il n'est d'ailleurs pas impossible qu'on trouve au Canada, en ce moment, plus de bonnes discothèques que de bonnes bibliothèques particulières. On nous a dit que cette amélioration du goût était en partie attribuable à Radio-Canada. On remarquera d'ailleurs que, dans la présente section, il sera souvent question de l'œuvre accomplie par Radio-Canada dans le domaine de la musique canadienne et avec le concours des musiciens canadiens.

2.   L'amateur de concerts est également bien servi chez nous. Grâce à l'initiative des sociétés musicales locales ou à celle des agences nationales ou internationales, il est à même d'entendre, sans qu'il lui en coûte trop cher, un grand nombre des artistes les plus célèbres du monde entier. Si tous les grands orchestres symphoniques du Canada, sans exception, souffrent du manque d'argent, ils n'en jouissent pas moins aujourd'hui de la faveur du public. Il n'est pas rare que l'importance des auditoires soit limitée par les dimensions des salles de concert, phénomène, on le verra plus loin, qui constitue, en certains endroits, un très sérieux inconvénient. Nous avons écouté avec beaucoup d'intérêt ceux qui nous ont entretenus des progrès réels de l'opéra en divers centres canadiens, notamment à Halifax, Montréal, Toronto et London. La troupe de Radio-Canada, qui a à sa disposition les ressources de l'école d'opéra du Royal Conservatory of Music, a suscité au Canada un vif enthousiasme grâce à ses excellentes exécutions de Peter Grimes, de Fidelio,

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de Carmen et d'autres œuvres. Les réalisations de la Société des festivals de Montréal qui, depuis quinze ans et plus, a tant fait pour les musiciens canadiens et pour la vie musicale de notre pays, permettent de juger, à la fois du goût qu'ont les Canadiens pour l'opéra et de leurs talents dans ce genre. Les festivals musicaux du Canada, inaugurés il y a quarante ans, connaissent depuis lors un développement presque incroyable. C'est ce que nous a appris le mémoire de la Fédération des festivals de musique canadiens. Dans près d'une centaine de centres, un peu partout au pays, ont lieu aujourd'hui des manifestations de ce type. Elles révèlent les ressources musicales de notre pays, dont elles stimulent énormément la vie artistique, tant du point de vue de la simple activité qu'on y manifeste, que de celui de la qualité. Au moment où la Commission royale tenait ses séances publiques à Ottawa au printemps 1950, l'Association du festival musical d'Ottawa y donnait son cinquième festival annuel, de sorte que, toute une semaine durant, la capitale du pays a pu voir se manifester les talents de plus de 7,000 candidats, qui remplissaient la ville d'une harmonieuse rumeur. Nos institutions d'enseignement portent maintenant à la musique un intérêt plus considérable qu'autrefois, et c'est ce qui explique l'apparition d'une multitude de sociétés d'amateurs, tant chorales qu'instrumentales, qui sont très agissantes et dont les membres savent non seulement plaire à leurs auditoires, mais encore, ce qui importe davantage, y trouver leur propre plaisir.

3.   Bref, nous avons été fort impressionnés par les nombreux témoignages qui nous ont été apportés de la vigueur et de la diversité d'aspects de la vie musicale au Canada. C'est pourquoi, en dépit des nombreux et graves problèmes qui se posent dans ce secteur d'activité, nous nous sentons en mesure de formuler ici des conclusions rassurantes dans l'ensemble, à l'intention de ceux qui voient dans la vie musicale d'un pays une manifestation importante de son équilibre culturel. Il reste que ces propos rassurants ne sauraient s'appliquer, chez nous, ni au compositeur de musique sérieuse, ni à l'exécutant de carrière. Il est clair, en effet, que ni l'un ni l'autre n'a profité, comme il aurait dû, de la vogue accrue dont jouit la musique au Canada depuis vingt-cinq ans.

4.   Sans doute, dans quelque pays que ce soit, le compositeur de musique sérieuse, surtout si cette musique a un caractère d'expérimentation ou un caractère singulièrement original, est en butte à de sérieuses difficultés. Mais chez nous il a à compter, non seulement avec l'hostilité et l'indifférence à laquelle se heurte d'ordinaire la musique nouvelle et, par conséquent, avec le peu d'empressement que mettent orchestres ou exécutants à présenter des œuvres aussi peu demandées par le grand public, mais encore avec certains obstacles, certains inconvénients bien particuliers. C'est que le Canada ne possède, en tout et pour tout, que quatre orchestres symphoniques capables de présenter les œuvres les plus sérieuses et les plus difficiles à exécuter. Encore que ces quatre orchestres, — ceux de

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Vancouver, de Winnipeg, de Toronto et de Montréal, — aient vaillamment tenté d'initier le public canadien à la musique canadienne, il semble qu'ils se soient rendu compte que la curiosité de nos compatriotes dans ce domaine n'était pas très éveillée. Tous les quatre sont d'ailleurs aux prises avec des difficultés d'ordre pécuniaire qu'ils risquent fort d'aggraver pour peu qu'ils aient la prétention de jouer ce qui, à en croire leurs auditoires, constitue une quantité exagérée de musique contemporaine. En janvier 1946, l'orchestre symphonique de Toronto donnait un concert exclusivement composé d'œuvres canadiennes. Malgré toute la réclame qu'on lui fit, cette manifestation ne s'en est pas moins soldée par un déficit de près de trois mille dollars (2). D'autre part, Radio-Canada a diffusé une partie de ce concert, qui a suscité, dit-on, le plus vif intérêt. Il reste qu'il n'est pas un orchestre qui puisse tenter pareille aventure sans une garantie ou une subvention quelconque.

5.   Relevons, parmi d'autres événements d'importance, le Symposium, ou cycle de musique canadienne, réalisé à Vancouver au mois de mars 1950 grâce à l'initiative du chef de l'orchestre symphonique de cette ville, sous les auspices du Community Arts Council. Cette manifestation a remporté un incontestable succès artistique. D'éminents compositeurs canadiens y ont vu l'événement le plus encourageant de l'histoire de la composition musicale dans notre pays. Toutefois, quoique le chef d'orchestre ait fourni gratuitement ses services et que l'organisation du cycle ait été, en grande partie, une entreprise bénévole, le Community Arts Council a dû solder un important déficit (3). Les journaux de l'Est n'ont à peu près rien dit de ce cycle, qui comprenait quatre concerts au cours desquels ont été interprétées les œuvres de trente-trois compositeurs canadiens. Il semble, malgré tout, qu'il ait fourni des motifs d'encouragement à nos écrivains de musique, à qui il a donné l'espoir de faire un jour entendre leurs ouvrages. Pour donner suite à cette manifestation, Radio-Canada diffusa un cycle au cours duquel, pendant quatorze semaines, on put entendre des pièces canadiennes qui, pour la plupart, avaient été d'abord soumises aux organisateurs du Symposium de Vancouver.

6.   En dépit de ces encouragements, il reste que la musique canadienne est encore trop mal connue dans notre pays. Rares sans doute sont ceux d'entre nous qui puissent nommer seulement une demi-douzaine de compositeurs de chez nous. Quant à ceux-ci, à cause de l'absence d'une revue musicale et surtout à cause de l'impossibilité où ils sont, par manque de fonds, de former un groupement efficace, ils connaissent mal l'activité de ceux de leurs collègues qui habitent d'autres régions que la leur. On n'a encore publié aucune histoire de la musique canadienne. Notre pays ne possède pas une seule bibliothèque musicale satisfaisante et, s'il est vrai que nos deux principaux conservatoires, le Royal Conservatory of Music de Toronto et le Conservatoire de la province de Québec, jouent, dans la vie musicale de notre pays, un rôle influent, on ne nous en

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a pas moins affirmé qu'il n'est « pas une seule université canadienne où l'on donne des cours supérieurs ou spécialisés de musique, un tant soit peu complets » (4) . On n'a imprimé qu'une très petite partie de la musique canadienne. En outre, nous a-t-on rapporté, les compositions les plus considérables, c'est-à-dire, généralement, les plus typiques, ne seront sans doute jamais publiées.

7.   Le compositeur canadien d'œuvres moins importantes, de musique instrumentale ou vocale, se rend compte que nos salles de concerts sont à peu près complètement occupées par des artistes que la musique canadienne n'intéresse à aucun titre particulier, puisqu'ils nous sont envoyés par les agences puissamment organisées des États-Unis. Sans doute l'amateur canadien peut-il ainsi entendre facilement, et à des prix abordables, les plus grands artistes qui soient. Pourtant le compositeur de chez nous, comme celui des autres pays, ne conçoit pas son art comme une simple gymnastique intellectuelle ou esthétique. Bien au contraire, il faut qu'il puisse faire exécuter sa musique, d'abord pour satisfaire ses propres aspirations artistiques et perfectionner son métier, ensuite pour gagner sa vie. Mais il a certainement moins d'occasions d'entendre son œuvre convenablement présentée au concert que ses contemporains de l'Europe occidentale ou des autres pays américains. C'est qu'il lui faudrait résoudre en premier lieu le problème ardu, quasi insurmontable, que pose l'édition de ses pièces. Jusqu'à ces tout derniers temps, l'édition musicale au Canada n'était pas très développée et restait en grande partie sous le contrôle d'intérêts britanniques et américains. De plus, nos compositeurs ne disposent que très rarement des ressources matérielles qui leur seraient indispensables pour faire copier ou reproduire leurs manuscrits, surtout s'il s'agit de partitions d'orchestre. La situation s'améliore lentement, mais il reste vrai que la plupart d'entre eux faute de pouvoir se faire imprimer doivent consentir à se départir de leurs manuscrits s'ils tiennent à se faire entendre.

8.   On ne saurait favoriser la diffusion de la musique canadienne que si on peut assurer la distribution des partitions. Aussi, le Conseil canadien de la musique s'est-il chargé de constituer une bibliothèque d'oeuvres musicales canadiennes, soigneusement choisies, où orchestres et exécutants intéressés pourront obtenir n'importe laquelle des pièces figurant au catalogue. Cette bibliothèque renfermera les ouvrages imprimés qui existent. En outre, on cherchera à persuader les éditeurs de musique d'en publier davantage. Néanmoins, pour réaliser l'importante tâche qu'entraîne la constitution d'une bibliothèque d'oeuvres canadiennes ou pour stimuler la publication de celles-ci, le Conseil canadien de la musique ne dispose même pas des services d'un secrétaire permanent, n'ayant pu faute d'argent, garder à son emploi le musicien habile et expérimenté qui a occupé ce poste pendant peu de temps.

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9.   On voit donc quels sérieux obstacles se dressent devant le compositeur au Canada, mais, au demeurant, la musique canadienne suscite un intérêt qui paraît s'accroître en une certaine mesure, tant au Canada qu'à l'étranger. Le Service international de Radio-Canada a contribué pour beaucoup à la diffuser au delà de nos frontières, non seulement par ses émissions, mais encore par ses enregistrements qui, grâce aux missions diplomatiques du Canada, sont mis à la disposition des amateurs de plusieurs pays. Au pays même, Radio-Canada a réalisé de fréquentes émissions d'oeuvres canadiennes, souvent en première audition. Elle a aussi commandé et diffusé des compositions importantes. L'année durant, elle retient, pour des périodes allant jusqu'à trois ou quatre mois, les services de vingt ou de vingt-cinq compositeurs canadiens chargés d'écrire la musique d'accompagnement ou de fond de ses émissions. On nous dit que, au cours des émissions du Wednesday Night d'une saison, Radio-Canada a fait entendre environ quatre-vingt-dix œuvres canadiennes, depuis des chansons jusqu'à des symphonies. L'Office national du film, de son côté, emploie, à titre permanent, trois compositeurs canadiens dont la production a attiré l'attention à l'étranger. Il n'est pas rare non plus que l'O.N.F. fasse appel provisoirement à d'autres compositeurs et leur confie le soin d'écrire la musique accessoire de telle ou telle réalisation.

10.   L'orchestre du Royal Conservatory of Music de Toronto a donné un encouragement vivifiant à plusieurs jeunes compositeurs canadiens en faisant entendre leurs pièces en audition publique ou privée. La Composers Authors and Publishers Association of Canada nous a dit, à Toronto : « Voilà treize ans que, chaque année, nous versons une subvention d'environ mille dollars au Royal Conservatory. En outre, nous offrons, chaque année, cinq prix de cent dollars aux compositeurs » (5). Généralement, Radio-Canada diffuse les œuvres primées. Depuis quelque temps, l'art de la composition bénéficie aussi chez nous d'un heureux stimulant grâce aux éditions de la Broadcast Music Incorporated et, en général, grâce à la propagande de cet organisme. Depuis un an ou deux, il arrive à certains des plus grands postes américains de diffuser des programmes composés exclusivement d'oeuvres canadiennes. Voilà quelques années déjà que plusieurs chefs d'orchestre canadiens éminents présentent, en Europe et ailleurs, des programmes de musique canadienne qui, semble-t-il, y sont bien accueillis. M. Marius Barbeau et d'autres ont fait un précieux travail de collection de musique folklorique canadienne. On nous dit encore que musiciens ou groupements de musiciens canadiens reçoivent sans cesse des demandes de renseignements au sujet de notre musique, tant du Canada que de l'étranger, à tel point que ni le Conseil canadien de la musique ni aucun autre groupement n'a pu, jusqu'ici, constituer un service suffisant pour répondre à toutes ces questions. L'assemblement, la conservation et la diffusion de la musique canadienne déjà écrite exige une vaste somme de travail. Il faudra accroître de beaucoup cette activité pour peu qu'on

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veuille accorder vraiment à la composition musicale l'encouragement qu'elle mérite. Notre pays ne possède pas, en ce moment, les ressources qu'il lui faudrait pour assurer la publication, l'exécution et la diffusion de sa propre musique. Selon nous, Radio-Canada, l'Office national du film et les sociétés orchestrales canadiennes ont favorisé notre musique dans toute la mesure de leurs moyens. Mais, pour que les compositeurs canadiens restent au Canada et pour qu'il y ait une musique canadienne, il faut faire bien davantage.

11.   Nos artistes de concert et nos musiciens de carrière sont mieux partagés que nos compositeurs, puisqu'il ne leur est que très difficile (et non pas absolument impossible) de gagner leur vie par la pratique de leur art. Nous avons fait observer plus haut que ce sont presque toujours des agences américaines qui alimentent nos salles de concert, quoique certaines sociétés musicales canadiennes (notamment à Montréal, Toronto et Winnipeg) aient généralement fait figurer des artistes canadiens dans leurs séries de concerts. Il n'est pas un musicien canadien qui veuille exclure ou gêner les quelques grands artistes authentiques dont les tournées au Canada, non seulement enchantent nos auditoires mais stimulent, à un degré égal, les musiciens canadiens. On ne saurait non plus exiger de nos compatriotes qu'ils se contentent d'exécutants médiocres simplement parce que ces exécutants sont canadiens. On nous a assuré, pourtant, qu'il se trouve, au Canada même, des musiciens qui, pour le talent, la formation ou l'expérience, ne le cèdent en rien à bon nombre des artistes apparaissant, dans les séries de concerts, aux côtés de quelques maîtres de réputation internationale mais que, par contre, les musiciens canadiens habitant le Canada, si doués soient-ils, ne participent jamais aux séries de concerts organisés par des agences américaines (6). Il y a, au Canada, des imprésarios qui rendent maintenant d'appréciables services aux artistes canadiens, mais dont le travail est sérieusement handicapé par la concurrence de puissantes organisations américaines. À moins que les comités locaux de plus de 150 centres canadiens qui font partie d'un réseau de concerts d'origine américaine n'exigent d'entendre un nombre raisonnable de musiciens habitant le Canada, il n'est que trop probable que nos salles de concert resteront fermées à nos compatriotes, exception faite de quelques expatriés qui, à l'occasion, reviennent en tournée dans leur pays natal.

12.   Pour le jeune artiste de concert à ses débuts, dont la formation exige de fréquentes apparitions en public, le problème des débouchés se pose, au Canada, avec une acuité toute particulière. C'est qu'il se trouve à pénétrer dans un domaine où la concurrence est extrêmement vive et où s'exerce la domination d'agences étrangères riches de talents reconnus, d'argent et d'esprit d'organisation. Si, d'aventure, il parvient à organiser une tournée au Canada, il fera à peine ses frais et il doit habituellement compter, pour gagner sa vie, sur les ressources déjà obérées de Radio-Canada ou sur des élèves, tellement nombreux, de toute nécessité, que ses leçons risquent de

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compromettre sa carrière artistique. Il n'y a donc pas à s'étonner si, un jour, il en vient à abandonner cette lutte inégale et à passer aux États-Unis, où, d'ailleurs, il a vraisemblablement reçu une bonne partie de sa formation supérieure dans une de ces grandes écoles bien rentées et admirablement organisées qui distribuent volontiers bourses et autres avantages aux étudiants, tant canadiens qu'américains. En effet, malgré la générosité des gouvernements provinciaux, des sociétés musicales et des orchestres, des universités et des maisons commerciales, les bourses canadiennes sont très loin de suffire aux besoins de nos compatriotes bien doués qui, méritant de poursuivre leurs études, en sont empêchés par le manque d'argent. Le ministère de l'Instruction publique d'Ontario a prévu une solution partielle au problème qui se pose au jeune artiste, en organisant et en subventionnant des tournées dans certaines petites localités où les concerts ont lieu dans les écoles. Pendant la saison 1949-1950, 135 concerts de ce genre ont eu lieu, ce dont, sans doute, musiciens et auditeurs ont retiré le plus grand bénéfice. Certaines villes canadiennes ont organisé des séries de concerts de jeunes exécutants, grâce auxquels les débutants peuvent acquérir la maîtrise d'eux-mêmes, la confiance et l'expérience que seuls peuvent donner les récitals publics. Mais, pour conserver nos meilleurs musiciens, nous pouvons et devons faire bien davantage. Qu'on n'en conclue pas que nous voudrions que tous les artistes canadiens restent au Canada et s'y consacrent exclusivement à la musique canadienne. Nous regrettons seulement que tant de nos meilleurs musiciens aient à quitter le pays, faute d'y trouver l'occasion d'y exercer convenablement leurs talents.

13.   Si le musicien de carrière expérimenté peut pratiquer son art au Canada, c'est, nous dit-on, uniquement grâce à Radio-Canada qui, en fait, subventionne nos quatre principaux orchestres. À en croire un de nos musiciens éminents, l'abandon total de notre radio à l'entreprise privée constituerait, pour notre musique, un désastre de première grandeur. Le zèle qu'a mis Radio-Canada à favoriser la musique symphonique au pays a eu une conséquence toute naturelle, c'est-à-dire la concentration de nos meilleurs musiciens dans quatre centres, au désavantage de la vie musicale dans les villes plus petites, ainsi qu'on nous l'a très clairement et énergiquement rappelé à Regina et à Québec. Il y a lieu de craindre que l'établissement de postes de télévision à Toronto et à Montréal n'aggrave encore ce problème. On nous a même dit, à Winnipeg comme à Vancouver, que ces deux villes perdent régulièrement leurs meilleurs artistes, leurs chanteurs surtout, qui vont chercher à Toronto et à Montréal les occasions plus variées et plus nombreuses qui s'y offrent au musicien de carrière. On a ajouté, et avec raison nous en convenons volontiers, que les émissions radiophoniques de Toronto et de Montréal, si excellentes qu'elles soient, ne sauraient compenser la perte, pour les autres localités, des mieux doués de leurs musiciens. Mais il s'agit là, ce nous semble, d'un problème sans

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solution véritable, à moins que Radio-Canada ne dispose de fonds beaucoup plus importants pour subventionner les orchestres locaux. Il est possible que certains postes privés décident d'employer, comme nous l'avons dit, plus de musiciens locaux qu'ils n'ont jugé opportun de le faire jusqu'ici, pour des émissions non commanditées. C'est ainsi, par exemple, comme nous le rappelions plus haut, que, d'après la Winnipeg Musicians' Association, aucun de ses membres n'a été prié de participer à la moindre émission non commanditée d'un poste privé en 1949 (7), et un chanteur canadien bien connu n'a pas une seule fois, en quinze ans, reçu d'engagement d'un poste privé. On est toutefois en droit de douter de l'efficacité éventuelle des mesures capables d'enrayer ce mouvement qui attire les musiciens vers les plus grands centres et qui joue d'ailleurs avec beaucoup plus de vigueur, peut-être, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France. Malheureusement, au Canada, cet exode des bons musiciens ne s'arrête pas à l'intérieur de nos frontières. Celui qui, de Victoria ou de Regina, s'est transporté une première fois à Toronto, trouve souvent les mêmes raisons de poursuivre sa route vers New-York. On nous a maintes fois répété que cet exode deviendrait tout à fait catastrophique sans l'intervention de Radio-Canada qui, de toute évidence, ne néglige rien, compte tenu de l'insuffisance de ses ressources, pour favoriser la musique canadienne et les musiciens canadiens.

14.   Si on nous a surtout entretenus des graves problèmes qui se posent au compositeur et à l'exécutant canadiens, nous n'en n'avons pas moins été frappés de certaines observations qu'on nous a faites au sujet de quelques-uns des obstacles qui compromettent l'épanouissement d'une vie musicale digne de la nation. Notre pays est, en effet, singulièrement dépourvu de salles de concert. Dans tous les centres où nous sommes allés, sans exception, on s'est plaint de ce que la vie musicale y fût gravement gênée par le manque de salles convenables. Même dans les villes, très rares, qui possèdent une grande salle, on ne saurait, par contre, trouver de locaux aptes à servir de studios, de salles de répétitions ou de salles de musique de chambre. On nous a signalé, par exemple, qu'il n'est probablement pas au monde une seule ville de l'importance de Montréal qui soit à tel point dépourvue de salles de concert. Cette insuffisance particulièrement sensible à Montréal est, à des degrés divers, caractéristique de l'ensemble du pays. On a été jusqu'à nous dire qu'il existait au Canada, il y a cinquante ans, des salles de concert plus nombreuses et mieux aménagées qu'aujourd'hui. En général, la vie musicale chez nous se déroule dans des lieux inappropriés, voire incongrus : gymnases, écoles, églises, hôtels, ou cinéma loués à prix d'or pour l'occasion. Pour que la musique soit présentée comme il convient, pour qu'on en jouisse au maximum, il est indispensable de prévoir l'aménagement de centres communautaires, rationnellement conçus et financés. Cela suppose, bien entendu, une subvention provenant d'une source

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quelconque. Il y a peut-être lieu de rappeler à nos compatriotes que, de Pindare à Prokofieff, c'est surtout grâce à un mécénat public ou privé que la grande musique a pu être écrite et exécutée.

15.   D'autres besoins existent. Il faudrait, par exemple, réunir et publier la musique folklorique que nous tenons de tous les pays d'Europe, prévoir des bourses suffisantes à l'intention de ceux de nos jeunes musiciens que nos festivals nous font découvrir chaque année, persuader ou forcer les fabricants de disques d'aider à la diffusion de la musique canadienne (voilà déjà quelque temps que les orchestres de Toronto ou de Montréal n'ont rien enregistré). Un peu partout au Canada, on demande de nouveaux films sur la musique canadienne pour faire suite aux quelques excellentes réalisations de ce genre que l'O.N.F. a à son actif. Le Conseil canadien de la musique est tout disposé, à condition qu'on lui ménage un certain appui, même si cet appui est modeste, à lancer une fédération de clubs musicaux canadiens, de compositeurs canadiens, d'écoles canadiennes de musique, en un mot à apporter le concours de sa vaste expérience et de son autorité bien établie à la solution des problèmes qui se posent à nos artistes de concert.

16.   Pour la réalisation de ces projets, auxquels des groupements bénévoles ont déjà consacré le plus clair de leurs ressources, point n'est besoin de sommes immenses. Un montant modique, au demeurant judicieusement réparti, pourrait donner chez nous à la musique la place qu'elle occupe dans d'autres nations cultivées. On ne saurait guère concevoir de placement plus intéressant.

*Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé.

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